Un des arguments assez souvent avancé pour justifier de ne pas « passer au Libre », que ce soit juste pour des outils couramment utilisés sous Windows ou sur des Mac —outils bureautiques typiquement— et encore plus pour un passage à Linux (Ubuntu, Fedora, ou autre), est la crainte, sinon le doute, quant à pouvoir continuer de lire et envoyer des fichiers dans les formats utilisés par les différents correspondants. Ainsi des documents .doc ou .docx, .xls ou .xlsx, etc…
Un argument recevable dans certains cas d’utilisation relativement avancée des logiciels de la suite MS Office que sont Word, Excel ou encore Powerpoint. S’agissant de formats propriétaires dont la description n’est pas divulguée par Microsoft, une limite est atteinte quant à la qualité d’interprétation que peuvent assurer des logiciels comme LibreOffice, OpenOffice, Koffice, Abiword ou encore Gnumeric. Les macros (en Visual Basic, langage MS) ne peuvent être exécutées, et dès lors que la mise en page est un peu élaborée elle n’est pas correctement restituée.
Une limitation qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux logiciels libres cités, essayez d’ouvrir un .docx avec une version antérieure de Word (sans le pack de compatibilité) pour vous en rendre compte…
Une fois encore, nous voici face à deux mondes avec des objectifs divergents et des approches par conséquent différentes.
Le monde selon Microsoft
D’un côté Microsoft, société en position de quasi-monopole avec sa suite MS Office et dont l’objectif est, par essence, de consolider son Chiffre d’Affaires sur ce secteur qui semble même le plus important au sein de la société, avec plus de 6 milliards de dollars en 2011. Un chiffre qui sans doute pourrait être bien supérieur sans le piratage de licences dont l’entreprise pâtit au point d’adhérer à la Business Software Alliance, une organisation active de lutte contre le piratage qui n’hésite pas à encourager la délation, comme on peut en juger sur cette affiche.
Cliquez sur la photo pour en savoir plus…
Que celui ou celle qui ne connaît aucune personne dans son entourage qui utiliserait une version piratée de Word ou Excel lève la main !!
Historiquement, les formats des fichiers de MS ne sont pas ouverts, lire : MS n’a pas de stratégie pour permettre à quiconque d’exploiter, c’est à dire de lire, modifier et écrire, des documents dans ses formats propres. Au contraire, la stratégie serait plutôt d’enfermer leurs utilisateurs et leurs correspondants dans leurs formats, et par conséquent les rendre totalement dépendants de leurs logiciels.
C’est donc par ce qu’on nomme « rétroingénierie » que les logiciels libres parviennent à exploiter les fichiers aux formats MS… D’où les « imperfections » qui en résultent.
Le monde libre et ouvert
De l’autre côté, un groupe de poids lourds de l’industrie informatique a progressivement constitué un format ouvert (OpenDocument) pour les applications bureautiques, devenu en 2006 la norme ISO 26300:2006. Ces sociétés, telles que Sun, Adobe Systems, Corel, IBM ou Google n’ont d’ailleurs pas opéré « dans leur coin » mais se sont instruites sur les besoins des utilisateurs auprès de grands client tels que Boeing, Intel, le National Archive of Australia, le New York State Office of the Attorney General ou la Society of Biblical Literature.
Ces formats étant ouverts et disponibles pour tous, on a donc vu fleurir une ribambelle de logiciels et suites bureautiques, également libres et Open Source, je retiendrai aujourd’hui la suite LibreOffice, émanation (le terme informatique est « fork ») de la suite OpenOffice qui a souffert des tergiversations de la société Oracle (modèle propriétaire) suite à son rachat de Sun, qui portait alors OpenOffice… Pour aller plus loin, cet article de Framablog synthétise 28 ans d’histoire autour de ce qui est devenu aujourd’hui LibreOffice.
LibreOffice, géré par The Document Foundation [en], est une suite bureautique libre (et gratuite) multi-plateforme (y compris Linux, bien entendu !) qui intègre Writer un traitement de texte, Calc un tableur, Impress pour les présentation, Draw un module de dessin, etc… et se pose en concurrent direct de MS Office. Les formats de documents de LibreOffice sont conformes à la norme OpenDocument, mais en plus de cela ces logiciels permettent de travailler sur les formats de fichier de MS, tels que .doc/.docx, .xls/.xlsx, etc… avec quelques limitations comme évoqué plus haut.
Alors… dos à dos ?
Ces derniers mois (années), Microsoft a perdu quelques parts de marché auprès de grands comptes, par exemple en France la Gendarmerie Nationale avec 80000 utilisateurs ou encore la Caisse Nationale d’Allocations Familiales avec 36000 postes, et de même un peu partout dans le monde. Nul doute que la refonte de l’interface utilisateur introduite par la version 2007 et donc les coûts de formation que cela induit a pesé dans la décision des entreprises qui ont alors choisi de migrer sur OpenOffice ou LibreOffice, dont l’utilisation courante est somme toute assez proche de celle de MS Office 2003 et antérieures, avec en prime des coûts de nouvelles licences épargnés !
Pas en reste, MS a donc commencé à intégrer des standards ouverts dans la liste de compatibilité de format de ses logiciels bureautique, mais pas tout à fait, pas à la dernière version du standard, ou à sa manière… Un sujet de frustration supplémentaire de la part de ses utilisateurs, un mécontentement de plus par rapport à ces fichiers OpenDocument (.odt, .ods, …) « exotiques » —mais ISO tout de même !— qu’on n’arrive pas à traiter sans souci alors qu’il serait si simple de tous utiliser le format natif de Word : .docx (pour autant que vous ayez la bonne version ou le bon pack pour les versions précédentes !)…
L’ouverture n’est décidément pas la tasse de thé de MS, mais la grande nouvelle est que MS Office 2013 serait (enfin !) totalement compatible avec les dernières versions des formats OpenDocument ! Cela n’aura pris que 10 ou 15 ans…
Pendant ce temps, LibreOffice améliore progressivement sa prise en charge des formats propriétaires, toujours par rétroingénierie… et la fondation annonce une bien meilleure interprétation des fichiers MS dans sa prochaine version 4.0…
Autant dire que s’il s’avère enfin bientôt possible d’échanger des documents dans quelque format que ce soit, et tant qu’à faire le standard ouvert, il devient également possible à chacun de choisir sa suite bureautique, et non plus se la voir imposée, prisonnier d’une entreprise en position de monopole et/ou des usages communs !
Et pouvoir choisir, c’est aussi un nouveau pas vers la liberté !
LibreOffice 4 est maintenant téléchargeable : http://www.libreoffice.org/
Une nouvelle de taille qui, si elle s’avère exacte, aura un impact important : Microsoft pourrait envisager de porter Office sur GNU/Linux en 2014… (http://www.phoronix.com/scan.php?page=news_item&px=MTI5MzU en anglais).